« Asseyez-vous, je vous prie ! »

La voix de Mrs. Stewart s’était voulue polie mais Saoirse l’avait entendu froide et autoritaire. La jeune fille déglutit donc silencieusement, et, en s’asseyant, prit grand soin d’afficher un sourire à ses lèvres. Avec nervosité, elle regarda la personne assise à côté d’elle, sa mère, et l’homme droit qui surplombait cette petite réunion, son père. Elle posa ensuite les yeux sur ses mains, ses doigts et ses ongles parfaitement curés. Elle se mit ensuite à jouer doucement avec les perles de sa robe d’une richesse incomparable. Lorsqu’elle serait mariée, elle en aurait pleins d’autres, des robes de la sorte. Et tout cela, grâce à ses parents. Parce que ses parents r…

« DONC, Miss ! L’Angleterre vous convient-elle ? »

La blondinette releva les yeux avec crainte, regardant le visage de sa future belle-mère avec de grands yeux bleus étonnés.

« Hum…Oui, beaucoup. Même s’il est vrai que ça change un petit peu de Limerick…Madame. »

« Bien sûr que ça change de l’Irlande. Après tout, nous sommes beaucoup plus civilisés en Angleterre. Non pas que les irlandais ne le sois pas, mais je trouve qu’après les récents évènements, votre « pays » s’est un peu abandonné à la violence. »

Un silence gêné plana dans le petit salon et Mr. Fitzpatrick leva les yeux au ciel, regrettant le temps d’un instant le marché qu’il avait convenu avec la famille Stewart. Comment avait-il pu croire que lui, riche bourgeois irlandais, en quête d’un titre de noblesse pour la postérité et d’une bonne situation pour sa fille cadette, marchanderait avec les Stewart, une famille noble anglaise, sans grand sou, mais au nom plus qu’important ? Il avait cru faire le bon choix mais regrettait presque aujourd’hui sa décision. Et si des tensions nouvelles naissaient entre leurs deux nations ? Si sa chère fille était montrée du doigt comme une brebis galeuse ? Le temps n’était cependant pas à de telles réflexions et Mr. Fitzpatrick essaya de relancer la conversation. Il fallait absolument que le mariage tienne en compte les routes qui menaient aux Indes.

« Il est vrai que Limerick n’a rien à voir avec Londres que nous avons visité il y a peu. »

« Vous avez bien raison. »

Nouvel instant de silence.

« Et bien, je dois vous annoncer, chère enfant, que mon fils n’a guère pu faire le déplacement pour venir à votre rencontre. J’en suis profondément navrée. Il m’en avait fait la promesse. Mais il m’a dit de vous faire part de ses salutations les plus distinguées. Il a d’ailleurs hâte de vous rencontrer, en tant que fiancée. »

Lady Stewart eut un petit sourire amusé que toute la famille Fitzpatrick partagea, à l’exception de Saoirse. Cela faisait sept semaines maintenant qu’elle attendait de pouvoir le voir. Elle se l’imaginait déjà, beau, élégant, amoureux comme un fou de ses lettres à l’écriture en pattes de mouche, souriant, charmeur. Bref, le mari parfait. Il avait cependant repoussé chacune de leurs entrevues, apparemment retenu pour des affaires à Londres. Elle, avait pris la peine de quitter, il y a trois semaines de cela, Limerick et l’Irlande en général, d’être accueillie par des amis de son père dans une campagne plus que capricieuse à Histon, et de l’attendre sagement, malgré l’ennui que lui prodiguait la nature. Trois semaines sans bruit, sans boutique, sans grands bals mondains. Trois semaines d’horreur. Elle avait cru, en revenant chez les Stewart pour la quatrième fois, le voir enfin, et parler à quelqu’un d’autre qu’à cette mère protectrice. Elle soupira légèrement, relevant une manche de sa robe en velours bleue couverte de dentelle travaillée, et tendit sa main jusqu’à sa tasse de thé. Puis, elle observa l’anglaise, un sourire mesquin aux lèvres.

« Il faudrait n’empêche qu’il se hâte d'arriver. Avec toutes les activités qu’il y a ici, je risque fort de me faire enlever rapidement par un charmant officier. »

Trois regards noirs se tournèrent vers la demoiselle et elle s’en cacha en plongeant nez le premier dans sa tasse. Ben quoi ? Mrs. Stewart avait bien des propos déplacés ! Pourquoi ne pouvait-elle pas, elle, s’amuser un peu ? Et puis, elle n’était pas encore sa belle-mère, à ce qu’elle savait !