C'était il y a deux ans, en début Janvier. Au cimetière d'Histon était rassemblé des membres de la famille Fairbanks, des amis, des connaissances. On enterrait Juliette Mary Fairbanks, elle portait alors une robe blanche ceinturée d'un ruban rose clair, ses cheveux avaient été remontés en chignon et une expression de sérénité se lisait sur son visage. De chaque côté du cercueil, deux personnes, de noirs vêtu, pleuraient. La première était une femme, Miss Eleanor Chastity Fairbanks, qui n'était nul autre que la soeur jumelle de la défunte. De l'autre, Monsieur Théophilius James Rosebury, qui aurait dû épouser, au mois de Juillet, la belle Juliette. Un peu en retrait, Monsieur et Madame Fairbanks discutaient de la situation. "Qu'allons-nous faire mon cher ?" demanda Madame Fairbanks à son époux, la voix défaite. "Il y aura bel et bien un mariage en Juillet." avait répondu Monsieur Fairbanks. Dans une longue procession silencieuse, le groupe retourna au petit manoir de la famille. Seuls Théophilius et Eleanor restèrent devant la tombe. Le silence encore et toujours. Ils se regardèrent comme si l'un comme l'autre avait compris que cet évènement annonçait le début d'une tragédie dont ils allaient être les personnages principaux. Alors que la pluie se mettait à tomber, ils se quittèrent sans mot dire.
Les mois passaient et le mariage de Miss Eleanor avec Monsieur Théophilius se concrétisait. Eleanor trouvait cela impensable, elle n'en voulait pas pour la simple et bonne raison qu'il avait été l'amour de sa soeur et qu'elle avait l'impression de la trahir. La demoiselle priait tous les soirs pour le pardon de Juliette. Elle avait toujours cru en Dieu, elles avaient toujours cru en Dieu. Petites, elles avaient de longues discussions sur la religion, sur la vie après la mort, sur le Paradis. En grandissant et après que leur père soit passé de simple employé à Patron de la Banque de Milton, ces discussions avaient changé, on ne parlait plus de Dieu, mais de la mythologie. Cette promotion, dû à la retraite de l'ancien patron de monsieur Fairbanks, avait changé leurs vies. Juliette et Eleanor avait pu avoir accès à l'éducation et aspirer à une vie meilleure. Comme il est bien connu, le destin sait donner, mais il sait reprendre aussi, et cela faisait longtemps que la jeunesse avait laissé place à l'âge adulte, celui des mariages. Juliette s'était entichée de Monsieur Théophilius James Rosebury, employé dans la banque de Monsieur Fairbanks. Mais comme pour nous rappeler qu'un bonheur ne vient jamais seule, Juliette contracta une fièvre durant l'hiver. " Vous ne pouvez pas mourir Juliette, comment ferais-je sans votre amour ? ". Eleanor était entrée dans la pièce, surprenant le jeune couple. Il était parti. Elle s'était alors approchée de sa soeur. " Juliette, si tu meurs, je... " " Tais-toi idiote, tu ne mourras pas non plus. Tu prieras pour moi et je serais toujours à tes côtés, je demanderais à Dieu pour être ton ange gardien. " avait-elle répondu d'une voix lasse et torturée. Il avait existé une grande complicité entre les deux soeur, depuis la mort de Juliette, Eleanor se sentait perdue.
Alors que le mois de juillet s'annonçait et que tout le monde se réjouissait du futur mariage, Eleanor continuait de s'opposer à cela. Les rares fois où elle se retrouvait en compagnie de son futur époux, ils ne parlaient pas, quelques regards indifférents, mais rien de plus. Chacun éprouvait le même sentiment, c'était mauvais, ce qui s'annonçait serait terrible. Le jour de la noce, Eleanor avait 22 ans, Théophilius en avant 24. La robe qu'elle enfila était somptueuse, sa mère avait insisté pour qu'elle porte celle de sa soeur, mais si elle n'avait pas pu empêcher ce mariage, elle avait réussi à avoir une autre robe. Elle était droite, la jupe remontait sous la poitrine et de la s'échappait deux pans en dentelles qui venait faire une traine. Un petit bijoux en argent ornée d'un diamant pendait dans son dos dégagé. Sous la couronne de rose blanche, ses cheveux déferlaient en cascades. Elle entrait dans l'église au bras de son père et la musique nuptiale qui retentissait, sonnait comme une marche funèbre aux oreilles d'Eleanor.La fête terminée, Eleanor rentra au domicile de son époux en sa compagnie, il n'avait pas échangé de mot. Il lui montra lui-même la chambre avant de se diriger vers la porte. Il se retourna, une main sur la poignée. " Vous n'êtes et ne serez jamais Juliette. " Il ferma la porte avec une violence telle qu'Eleanor eut un sursaut. Son regard s'embuait, elle s'assit sur le lit et passa sa main encore ganté de blanc sur sa bouche, les larmes perlaient sur ses joues. Alors, tout bascula. Théophilius avait dû être touché plus que de raison par la mort de Juliette, il avait des excès de colère et de violence. Eleanor entendait souvent les domestiques expliquer qu'il fallait se rendre en ville pour faire réparer tel ou tel objet. Ils ne croisaient jamais, sauf pour le dîner, ne parlons pas des relations personnelles, Eleanor restait indéniablement aussi vierge que le jour de son mariage.
Il y a quelques semaines, cela empira. Eleanor avait tenté tant bien que mal de se rapprocher de lui, mais ce fut au mauvais moment. Théophilius avait bu et il frappa Eleanor. Celle-ci, plus qu'épuisait par les deux années qui s'étaient écoulée, explosa. " JE SAIS QUE JE NE SUIS PAS JULIETTE ! JE NE LE SERAIS JAMAIS, NI À VOS YEUX NI AUX MIENS ! Mais elle est morte... cela fait deux ans que Juliette est morte et si vous en souffrez, croyez-le, j'en souffre aussi. Elle était ma soeur, ma jumelle, la personne la plus proche de moi... Vous n'avez pas le droit de vous en prendre à moi pour une chose dont je ne suis pas coupable. " Théophilius avait regardé Eleanor, il était stupéfait par l'audace de la demoiselle et par la force de caractère dont elle faisait preuve, n'importe quelle autre femme aurait pleuré, mais aucunes larmes ne perlaient sur ses joues. Elle était triste, c'était certain, mais elle ne voulait pas le montrer. Théophilius s'approcha de son épouse, il leva sa main vers elle, Eleanor recula. " Je ne vous frapperez plus Eleanor. Je vous le promet. " Ils restèrent planté-là à se regarder dans le blanc des yeux. " Vous saignez madame, laissez-moi enlever ce sang. " Elle se laissa approchée. Tendrement, il posa sa main sur la joue de sa femme, avec l'autre il attrapa un mouchoir et tamponna la lèvre. " Cela fait trop longtemps que nous nous faisons du mal. Juliette n'aurait certainement pas voulus cela pour nous. " Théophilius garda sa main sur la joue d'Eleanor, il ne l'avait jamais touché, sa peau était douce et n'avait aucune imperfection. " Vous avez raison. Vous lui ressemblez tellement. C'est une torture. " à cet aveu, Eleanor se sentit mal. " Je déteste me voir dans un miroir. Si j'adorais notre ressemble lorsque nous étions jeune, je la maudit aujourd'hui... " Ils continuèrent la discussion, celle-ci dura toute la nuit. Ils avaient d'abord parlé de Juliette, de son enfance avec Eleanor avant de passer à sa rencontre avec Théophilius. Chacun avaient énuméré les raisons pour lesquelles ils l'aimaient tant. Ils s'étaient fait surprendre par le soleil qui entrait dans la pièce. Ils se regardèrent et se promirent de vivre dans le présent et d'apprendre à se connaître.